Pourquoi chantent nos enfants ?
Certes parce que chanter, c’est un plaisir, parce que cela fait du bien, cela nous procure de bons copains, nous rend moins timides, et encore mille autres raisons tout à fait louables.
Néanmoins, sans renier la valeur d’aucun de ces aspects absolument fantastiques qui ornent la pratique musicale, je vous propose de considérer l’art du chant, aujourd’hui, d’une manière qui se veut plus proche de celle de nos meilleurs aïeux. Pourquoi chantaient-ils et faisaient-ils chanter ? Et qu’est-ce qu’Aristote, Platon et Saint Grégoire le Grand pourraient nous dire à ce sujet?
Tout d’abord, que le plaisir et la détente sont, en effet, des biens non négligeables liés à cet art. Aristote, quant à lui, ne pourrait qu’approuver cet aspect plutôt ludique de la musique, puisqu’il constate qu’il y « a un plaisir propre à chaque action », et que le plaisir lié aux actions vertueuses est, lui aussi, vertueux. Ainsi, puisqu’il y a une musique liée à la vertu et une autre au vice, le Philosophe proposera que l’on se serve de cette première dans le cadre de l’éducation des enfants, par l’usage des seules gammes et rythmes jugés bénéfiques à l’épanouissement de l’âme.
Jusque-là, on a tout bon.
Et à propos d’éducation, c’est surtout le Grand Saint Grégoire qui a des choses à nous apprendre. Partant du principe que la voix des enfants est celle qui se prête le mieux à rendre au culte divin sa splendeur, il institua le premier les scholae cantorum, écoles de chants liturgiques sous forme d’internat, accueillant des enfants de toute la société (bien que les plus démunis eussent la priorité d’accès, d’où leur surnom orphanatrophium, orphelinat), les logeant et les nourrissant, en échange de quoi ces enfants assuraient leur participation en tant que chantres dans la liturgie. Mais comment préparer des tout-petits de divers horizons à l’exécution d’une si lourde tâche? Par la transmission de compétences d’ordre grammatical et théologique, entre autres, leur permettant de maîtriser leur pratique. Ainsi, instruisait-on les enfants en vue de les rendre aptes à pratiquer le chant sacré.
Or cette configuration pédagogique présente le chant non pas en tant que discipline annexe, mais comme l’aboutissement même d’une rigoureuse chaîne de préparatifs d’ordre intellectuel. « Eructavit cor meum verbum bonum », “Mon cœur a fait jaillir la bonne parole”; la bouche chante ce dont le coeur est plein: l’éducation structurera donc et emplira les cœurs, leur suscitant ainsi le désir de déverser leur contenu auprès de Dieu, pour sa plus grande gloire, mais aussi auprès des fidèles, pour leur sanctification.
Et Platon ici de rajouter son couplet (certes, il apparaît avant dans la frise historique… mais, s’agissant de la vérité, tout peut bien se conjuguer au présent): le chant, c’est le verbe humain par excellence, tandis que la simple déclamation est comme une sous-espèce de cette expression, évoquant, par sa moindre splendeur, aussi un état permanent de manque éprouvé par l’homme depuis sa chute. En chantant, donc, il exprime son désir de se voir restitué à son état originel. Et, qui plus est, s’il y emploie les paroles mêmes que Dieu lui a léguées, il « priera deux fois », comme le dit Saint Augustin.
Un moyen de se procurer du plaisir, donc, que le chant – et parfois même de mériter un voyage au Portugal ! – , mais aussi et surtout, une digne expression de la nature humaine, et clé de voûte de l’édifice pédagogique érigé par Saint Grégoire. Chanter et faire chanter nos enfants, c’est finalement se préparer pour cette vie où toute parole résonnera comme un éternel alleluia.